Comment la FRC a-t-elle été alertée des pratiques de Viagogo ?
Aurélie Gigon Nous avons reçu un très grand nombre de réclamations via notre permanence juridique. Les consommateurs nous signalaient que les prix pratiqués par le site Viagogo étaient plus élevés que ceux de la billetterie officielle de l'événement et que des frais très importants s’ajoutaient au moment de la commande. De plus, nous avons constaté que Viagogo avait réservé les noms de nombreux festivals via Google Adwords. Résultat : les internautes, en pensant cliquer sur le site officiel de l'événement, arrivaient en réalité sur Viagogo.ch sans s’en rendre compte.
Quelles ont été les premières actions entreprises par la FRC ?
A. G. Nous avons commencé par recueillir davantage de témoignages et mené notre propre enquête sur le fonctionnement du site et sa manière de communiquer. Cela nous a permis de mettre au jour de nombreuses pratiques déloyales. Par exemple, Viagogo ne précisait pas clairement qu’il ne s’agissait pas d’un site officiel de billetterie et,selon les cas, la plateforme agissait tantôt comme simple intermédiaire, tantôt comme vendeur. La tarification opaque était particulièrement problématique : les clients ne découvraient le prix final qu’à la toute fin du processus d’achat. Nous avons aussi relevé l’usage de publicités superlatives ("prix les plus bas") et de techniques manipulatoires, ou dark patterns, comme des jauges de disponibilité de billets alors que la plateforme n'a aucun moyen de connaître l'état de la billetterie de l'événement, ou des messages de type "plus que X billets", créant un sentiment d’urgence.
Pourquoi avoir décidé de porter plainte ?
A. G. Face à l’ampleur du phénomène et à l’attitude persistante de Viagogo, nous avons estimé qu’une action en justice était la seule voie possible. Nous avons donc déposé une plainte pénale pour violation de la loi contre la concurrence déloyale. En résumé, nous invoquions un risque majeur de confusion pour les consommateurs et la violation des règles sur l’indication des prix.
Quelle a été l’issue de cette procédure ?
A. G. Un accord transactionnel a été trouvé en 2024, alors que la procédure pénale était déjà en cours depuis 2018. Viagogo n’a pas été condamnée par la justice puisque la FRC a accepté de retirer sa plainte en contrepartie d’engagements concrets. Nous avons préféré des améliorations concrètes et rapides pour les internautes à une longue procédure judiciaire dont l’issue restait incertaine.
Que prévoit précisément cet accord avec Viagogo ?
A. G. Concrètement, sur la version suisse du site (viagogo.ch), plusieurs améliorations ont été obtenues. Le site indique clairement qu’il s’agit d’un revendeur et non d’un site officiel et les prix sont affichés de manière plus complète et transparente dès le début. L’emplacement des places est désormais précisé. Les pop-up ont été réduits et la pression pour que l’internaute finalise sa commande en ayant un sentiment d’urgence est modérée. Enfin, les revendeurs professionnels sont identifiés de façon claire. L’accord inclut aussi un volet d’indemnisation de 100 000 francs suisses, destiné aux 800 personnes qui avaient témoigné auprès de notre association.
Cette affaire a-t-elle eu des retombées plus larges ?
A. G. Absolument. Elle a renforcé notre campagne Ticket Check, lancée dès 2018 pour sensibiliser le public aux risques du marché gris* et de la revente abusive de billets. Soutenue par des professionnels du milieu culturel, sportif et des billetteries officielles, cette campagne reste aujourd’hui encore largement reconnue. Elle a d’ailleurs été reprise à l’étranger, inspirant d’autres associations de consommateurs en France, Belgique, Espagne, Pologne et ailleurs.
* On parle aussi de marché secondaire ou de revendeur non officiel
La Fédération romande des consommateurs (FRC)
Créée en 1959, la FRC est une association indépendante qui a pour mission de protéger et informer les consommateurs en Suisse romande. Elle agit sur tous les fronts : enquêtes de terrain, information du public, conseils pratiques, interpellation des décideurs politiques et économiques. Elle est membre du Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC).
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