Prix des produits agricoles : vers un nouvel écart entre recettes et charges

Après les fortes tensions inflationnistes de 2022, l’année 2025 s’ouvre sur un écart progressif entre les prix agricoles à la production et les coûts de production. L’indice des prix d’achat des moyens de production agricole (IPAMPA) s’est replié pour s’établir autour de 125 points en avril 2025, traduisant une détente sur les prix des engrais et de l’alimentation animale. Parallèlement, l’indice des prix des produits agricoles à la production (IPPAP) progresse, atteignant environ 132 points. Cet écart croissant entre les deux indices traduit un rééquilibrage progressif des marges agricoles, favorable aux producteurs.

L’analyse croisée de l’IPPAP et de l’IPAMPA demeure un indicateur utile pour suivre l’évolution des marges, mais elle doit être complétée par une approche microéconomique à l’échelle des exploitations. Le solde disponible par équivalent temps plein non salarié a reculé, en 2023, pour s’établir à 29 340 €, soit une baisse de 44,7 % par rapport à 2022, après deux années de très forte hausse (+ 59,9 % en 2021, + 30,0 % en 2022).

Flambée des prix à la production dans la filière bovine

Depuis plusieurs années, le nombre d’éleveurs bovins diminue, entraînant une réduction progressive du cheptel, tant laitier qu’allaitant. Jusqu’en 2021, cette baisse était partiellement compensée par une stratégie de décapitalisation : les éleveurs mettaient sur le marché davantage de vaches laitières en fin de carrière, contribuant à maintenir un certain niveau d’abattage et une forme de stabilité sur le marché. Mais à partir de 2022, la conjoncture a changé. La hausse des prix du lait a renforcé l’intérêt économique à conserver les vaches laitières productives, réduisant significativement les sorties d’animaux.

Ce double phénomène — recul du cheptel et ralentissement de la décapitalisation — a mécaniquement raréfié l’offre de bovins de boucherie. En avril 2025, l’indice IPPAP des gros bovins dépasse les 171 points, marquant une progression de plus de 60 % par rapport à 2021. Ce niveau record reflète les fortes tensions sur le marché de la viande bovine, où la contraction de l’offre devient structurelle. Cette situation pose un enjeu stratégique majeur pour la filière : la reconstitution du cheptel, notamment dans les systèmes allaitants, nécessite plusieurs années. À court terme, l’ajustement de l’offre à une demande croissante semble difficile, rendant le marché vulnérable.

Le cas du steak haché : quand la qualité des morceaux pèse sur le prix final

Parmi les produits finis, le steak haché illustre de manière emblématique les tensions actuelles sur la filière bovine. Pièce incontournable du panier des ménages français, historiquement perçue comme accessible, le steak haché a vu son prix bondir : en juin 2025, son prix moyen de vente au détail en GMS atteint 15,55 €, contre environ 11 € en juin 2021, soit une hausse de 37 % (source : RNM).

Traditionnellement, le steak haché valorise les parties dites non nobles de la carcasse, principalement l’avant de l’animal. Mais face à une demande croissante, cette ressource ne suffit plus : la production de steak haché mobilise désormais des parties plus nobles, ce qui entraîne une hausse mécanique des prix pour maintenir un équilibre économique global sur l’animal.

Autre facteur déterminant : le profil des animaux abattus. Le steak haché dépend fortement des vaches laitières, jugées moins qualitatives pour la viande de découpe noble. Or, les éleveurs laitiers ayant conservé leurs animaux plus longtemps pour profiter des prix élevés du lait, les volumes disponibles pour l’abattage ont fortement diminué, créant un effet de rareté sur le marché du steak haché.

En conclusion, la chaîne alimentaire apparaît aujourd’hui dans une phase de stabilisation fragile : l’inflation recule, mais les prix restent élevés et la répartition de la valeur entre producteurs, industriels et distributeurs continue de jouer un rôle déterminant. Ce phénomène marque l’entrée dans une nouvelle ère, où les prix alimentaires semblent durablement installés dans une zone haute, notamment en raison du maintien de prix agricoles structurellement élevés. Par conséquent, un retour à la situation antérieure semble de moins en moins probable ; il ne s’agit plus d’un simple ajustement conjoncturel, mais bien d’une redéfinition profonde des équilibres économiques dans le secteur agroalimentaire. Cette situation souligne plus que jamais l’urgence d’une transparence accrue dans la formation des prix et d’une meilleure répartition de la valeur tout au long de la chaîne agroalimentaire, de la production à la distribution.

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