Le système alimentaire français présente des failles significatives sur le plan environnemental, social et de la santé publique. Notre alimentation, qui représente 24% de nos émissions de gaz à effet de serre, est un facteur majeur d’érosion de la biodiversité et de pollutions de l’air et de l’eau, qui mettent en danger notre santé. L’excès d’aliments riches en sel, en sucres ajoutés et en acides gras saturés, de produits ultra-transformés et de produits d’origine animale contribue à la multiplication des maladies chroniques (diabète de type 2, obésité, maladies cardiovasculaires, certains cancers). L’exposition aux additifs controversés, aux résidus de pesticides et aux perturbateurs endocriniens constitue un facteur de risque supplémentaire.

Cette situation est d’autant plus inacceptable que les ménages modestes sont les plus touchés par les maladies chroniques[1], et que 11% des adultes sont en insécurité alimentaire en France[2]. La consommation de fruits et légumes est un marqueur frappant de ces inégalités inacceptables : les ménages défavorisés en mangent 20% de moins que les ménages aisés[3].

Il est donc urgent et impératif que les pouvoirs publics prennent davantage de mesures en faveur d’une alimentation saine et durable. Les objectifs sont clairement identifiés par les scientifiques et les professionnels de santé : promouvoir la consommation de fruits et légumes frais, de céréales complètes et de légumes secs, diminuer celle de produits trop riches en sel, sucres et matières grasses, et de produits d’origine animale (en particulier de viande), et interdire les additifs et contaminants controversés pour la santé, comme les additifs à base de nitrites et nitrates.

Pour atteindre ces objectifs, l’État doit renouveler ses modes d’action de façon à rompre avec l’inertie et l’inefficacité de sa politique alimentaire. Cela suppose de mettre fin à sa focalisation sur les engagements volontaires des entreprises et sur la responsabilité individuelle. La transition alimentaire ne peut reposer que sur les consommateurs qui, correctement informés, adopteraient une alimentation durable. Des années de recherche en psychologie, marketing et sociologie montrent que cette approche est erronée car les choix des consommateurs sont conditionnés par une multitude de facteurs.

Un premier obstacle réside dans le manque d’information et de transparence sur les produits alimentaires. Comment faire les “bons” choix sans information claire, complète et scientifiquement fiable sur la qualité nutritionnelle et l’impact environnemental des produits alimentaires, et sans mention claire du mode d’élevage pour les produits d’origine animale ?

Ensuite, les préférences des consommateurs sont largement façonnées par les opérations de marketing et de publicité des firmes de l’agroalimentaire. En 2018, leurs investissements publicitaires s’élevaient à 1,1 milliard d’euros net, dont 48% pour des produits de Nutri-Score D et E[4].

Enfin, les comportements des consommateurs sont soumis à des contraintes structurelles. La première concerne la présence ou l’absence d’offre de produits de qualité près de son domicile. Y a-t-il un supermarché à proximité ? Propose-t-il des fruits et légumes frais ? La deuxième contrainte est de nature économique : comment acheter des produits frais et de qualité lorsque l’on n’en a pas les moyens ? Et comment cuisiner quand on ne dispose pas d’un logement équipé d’une cuisine, voire pas de logement du tout ?

La transition vers une alimentation saine et durable pour toutes et tous n’est donc pas une affaire individuelle, mais une question collective. Elle repose sur la transformation globale de notre environnement alimentaire et exige de donner aux ménages modestes les moyens matériels et économiques pour mieux se nourrir. Cela requiert des politiques publiques enfin à la hauteur des enjeux, comme le recommande le dernier avis du Conseil National de l’Alimentation[5]. Pour nos associations, il est en particulier urgent de :

  • Renforcer l’éducation à l’alimentation saine et durable en milieu scolaire et la prévention à travers des campagnes de sensibilisation ;
  • Interdire la publicité et les promotions pour les produits alimentaires nocifs pour la santé et pour la planète (aliments trop gras, sucrés et salés, produits d’origine animale issus d’élevages intensifs), en priorité celles qui ciblent les enfants ;
  • Soutenir financièrement le secteur de la restauration collective pour proposer davantage de repas préparés à partir de produits bruts, frais et issus de circuits courts de proximité et durables ;
  • Investir dans l’amélioration du maillage territorial de l’offre de produits frais, sains et durables, dans les zones rurales et urbaines où l’offre est défaillante ;
  • Rendre plus accessibles financièrement les produits issus de modèles agricoles durables, notamment l’agriculture biologique, en renforçant le soutien public pour ces modèles et aux plus précaires ;
  • Mettre en place un dispositif d’affichage environnemental des produits alimentaires, incluant l’indication du mode d’élevage ;
  • Faire en sorte que l'affichage du Nutri-Score sur les produits alimentaires soit rendu obligatoire au niveau européen ;
  • Engager la révision des repères alimentaires officiels afin d’intégrer les enjeux de durabilité, comme le recommande le Conseil National de l’Alimentation.[6]


Signataires :

Alliance pour la santé planétaire

Alofa Tuvalu - Gilliane Le Gallic, Présidente

Association française des dététiciens nutritionnistes - Ghislain Grodard-Humbert, Président

CLCV (Consommation, Logement, Cadre de Vie) - Jean-Yves Mano, Président

Collectif national des associations d’obèses - Anne-Sophie Joly, Présidente

Fédération française des diabétiques - Jean-François Thébaut, Vice-Président en charge du plaidoyer

Fondation pour la Nature et l’Homme – Stéphanie Clément-Grandcourt, Directrice générale

Foodwatch France – Karine Jacquemart, Directrice générale

France Nature Environnement - Arnaud Schwartz, Président

Greenpeace France – Jean-François Julliard, Directeur général

Ligue contre le Cancer – Daniel Nizri, Président

Réseau Action Climat - Philippe Quirion, Président

Réseau Environnement Santé - André Cicolella, Président

Société Française de Santé Publique - Emmanuel Rusch, Président

Société francophone de santé et environnement - Élisabeth Gnansia, Présidente

VRAC France - Boris Tavernier, Délégué général



 

[1] Inserm, 2017, Synthèse de l’expertise collective “Inégalités sociales de santé en lien avec l’alimentation et l’activité physique”. https://www.inserm.fr/expertise-collective/inegalites-sociales-sante-en-lien-avec-alimentation-et-activite-physique/

[2] https://www.anses.fr/fr/content/inca-3-evolution-des-habitudes-et-modes-de-consommation-de-nouveaux-enjeux-en-mati%C3%A8re-de

[3] https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/decryptage/pratiques-alimentaires-durables-un-autre-regard-sur-et-avec

[4] https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/documents/rapport-synthese/exposition-des-enfants-et-des-adolescents-a-la-publicite-pour-des-produits-gras-sucres-sales

[5] https://cna-alimentation.fr/download/avis-n90-06-2022-nouveaux-comportements-alimentaires-propositions-dactions-pour-une-alimentation-compatible-avec-des-systemes-alimentaires-durables/

[6] Recommandation clef A.1, p.33 de l’avis n°90 :  https://cna-alimentation.fr/download/avis-n90-06-2022-nouveaux-comportements-alimentaires-propositions-dactions-pour-une-alimentation-compatible-avec-des-systemes-alimentaires-durables/


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