Monsieur le Président de République,

Association de défense des consommateurs, engagée sur les questions d’énergie, nous tenons à vous faire part de nos plus vives inquiétudes quant à la fin, programmée au 30 juin 2023, du tarif réglementé de vente du gaz (TRVg).

Il faut au préalable souligner que nous vous saisissons car, à notre grand étonnement, nos différents courriers aux membres du gouvernement sont restés lettres mortes.

Comme vous le savez, la fin du tarif réglementé du gaz pour les particuliers résulte d’une décision du Conseil d’Etat du 19 juillet 2017 sur saisine des fournisseurs alternatifs. Dans notre dossier joint, nous expliquons que l’expérience de la crise de l’énergie démontre à quel point cette décision du Conseil d’État était malavisée. Le tarif réglementé est reconnu au niveau communautaire pour sa faculté à réduire l’exposition du consommateur à la volatilité du prix de gros. La Conseil d’État, se situant dans le cas alors hypothétique d’une telle volatilité, estimait que ce tarif, ayant une formule très peu protectrice, n’avait aucune utilité.

Malgré une formule de calcul il est vrai trop orientée à court terme, l’expérience de la présente crise a montré au contraire le caractère protecteur de ce tarif, et ce pour deux raisons principales.

Premièrement, la crise a mis en exergue une qualité « nouvelle » des TRV, en électricité et en gaz, qui est tout simplement celle de la sécurité contractuelle. Notre association est ici en première ligne car nous sommes à ce jour la seule structure privée ou publique à avoir engagé sur ce secteur des actions contentieuses (cinq à ce jour) relatives à des mauvaises pratiques contractuelles ou commerciales (non-respect du prix fixe, conditions informationnelles d’une hausse de prix).  Nous savons bien que les personnes abonnées au TRV connaissent très peu de litiges tandis que la crise de l’énergie, par le manque de couverture marché des fournisseurs, a induit une très grande toxicité sur les autres offres du marché de détail.

Dans cette crise, les tarifs réglementés représentent une sécurité qui n’existe chez aucun autre contrat de fourniture. Il faut notamment souligner le fait que l’ensemble des comparateurs d’énergie ne sont ici d’aucun secours. S’ils permettent de détecter la meilleure offre tarifaire à un moment donné, ils n’offrent aucune garantie quant à l’évolution de ce tarif et ses conditions informationnelles ou contractuelles. Or la caractéristique de cette crise est qu’un tarif peut à tout moment être modifié d’une manière radicale et dans des conditions trop souvent insatisfaisantes.

Il nous semble que, dans ce contexte, demander à 2,6 millions de ménages de rechercher une nouvelle offre fait prendre un risque très élevé d’insécurité contractuelle qui peut induire un préjudice économique massif pour ces consommateurs.

Deuxièmement, nous avons grandement salué les mesures prises en termes de bouclier tarifaire et nous pensons que son effectivité dépend pour partie de l’existence d’un tarif réglementé.

En théorie, il est exact qu’une mesure de subventionnement doit pouvoir permettre un plafonnement de la dépense du consommateur au niveau arbitré par le pouvoir exécutif. Mais ce qui est vrai en théorie ne l’est pas ici en pratique.

Nous constatons ainsi que ledit bouclier a bien induit un plafonnement tarifaire, et donc de la dépense des ménages, pour les consommateurs particuliers individuels d’électricité et de gaz où il existe un TRV. A l’inverse, pour le chauffage collectif, ce bouclier tarifaire est bien moins efficace dans le logement social et probablement plus encore dans les copropriétés. Il est assez établi que les fournisseurs d’énergie reversent la subvention au client (avec parfois un délai long et aléatoire en copropriété). Mais, pour autant, le caractère inopérant du jeu concurrentiel, constaté par la raréfaction des offres pour un client donné, induit des tarifs très élevés. Quand on prend en compte ce tarif et la subvention, le niveau de « prix net » semble bien plus haut que le tarif pratiqué en bouclier tarifaire pour un abonnement individuel.

Il nous semble indéniable que l’existence d’un tarif réglementé (TRV), et des offres de marché adossées à ce tarif, induit une balise concrète pour le bouclier tarifaire et il nous semble très hasardeux de penser qu’un indice statistique publié par le régulateur aura les mêmes propriétés. Dès lors, la disparition du tarif réglementé fait peser un risque réel de précarisation du bouclier tarifaire pour le gaz.

Pour ces raisons principales nous vous proposons d’amender la loi de novembre 2019 et de prononcer un report de deux ans de la fin de ce tarif réglementé. L’Europe a autorisé depuis un an les États à prendre des mesures transitoires d’urgence dans le domaine des prix des énergies. Dans cette perspective, ce report constitue une mesure modérée et pragmatique que pourra aussi parfaitement comprendre le Conseil d’État. Ce délai serait d’ailleurs aussi l’occasion de mieux redéfinir sur le long terme les outils de la protection des consommateurs dans ce domaine.

Espérant pouvoir trouver une écoute, et restant à votre entière disposition pour vous exposer nos retours du terrain, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.

Jean-Yves MANO

Président de la CLCV

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