La Commission de régulation de l'énergie doit revoir sa formule de calcul sur le coût de l'écrêtement

Dès la fin du mois de septembre, la CLCV a alerté le gouvernement et la CRE d’un défaut de conception de la formule de calcul du tarif réglementé de vente de l’électricité.

En cas de rationnement du nucléaire des alternatifs (écrêtement), le principe de contestabilité (cf. point 1) amène à devoir augmenter le TRV pour tenir compte du surcoût supporté par les alternatifs rationnés. Pour calculer ce surcoût, on considère la quantité de nucléaire théoriquement non satisfaite (160 TWh demandés – 100 TWh de plafonnement, donc 60 TWh non satisfaits) multipliée par la différence entre le prix de gros moyen et le prix régulé du nucléaire soit 42 euros. La question qui se pose est donc de choisir sur quelle période on considère le prix de gros moyen. Cette hypothèse est très structurante sur le « coût de l’écrêtement » et donc l’évolution du tarif réglementé de vente.

La CRE avait pris la période du 1er au 23 décembre comme plage de calcul pour le prix du marché de gros servant de calcul au coût de l’écrêtement. Un choix qui correspond au moment où les alternatifs effectuent leur demande de nucléaire. Opter pour cette période est très arbitraire car les alternatifs savent depuis plusieurs années qu’ils sont rationnés en nucléaire et sont censés se couvrir contre ce risque tout au long de l’année. On peut difficilement penser que les opérateurs et les industriels se couvrent contre le rationnement du nucléaire uniquement entre le 1er et le 23 décembre ! En outre, la période de décembre est une période d’hiver plutôt propice à des prix élevés.

La CLCV avait ainsi demandé dans un courrier à la CRE du 30 septembre puis dans un courrier au Premier ministre de retenir une période plus longue et plus représentative des prix de gros et d’une politique raisonnable de couverture (le prix de gros moyen de toute l’année ou le second semestre par exemple). Cela n’a pas été fait et il s’avère que, même dans le contexte de flambée de cet automne, les prix de gros ont été explosifs entre le 1er et le 23 décembre (notamment avec l’arrêt de deux centrales nucléaires EDF). Cela aurait dû induire une augmentation à la fois très élevée et très injuste de la base tarifaire du TRV car elle est complètement contraire à la vérité des coûts. Il faut souligner qu’avec une plage de calcul plus représentative pour maîtriser la hausse à 4 %, la suppression de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) aurait suffi.

Il n’y a aucune raison de lier à ce point l’évolution du TRV à cette minuscule période et la CRE a fait preuve d’imprévoyance en la matière. Nous demandons une modification de la plage de calcul dès maintenant (pour le TRV 2022) dans la mesure des possibilités juridiques et une modification plus structurelle par voie réglementaire pour l’année prochaine.

Les demandes de nucléaire « Arenh 2022 » = attention à la faille spéculative !

Au mois de décembre, les opérateurs alternatifs et les grands industriels éligibles ont fait valoir leur demande de nucléaire pour l’année 2022 comme le permet la loi Nome. Cette demande de nucléaire dépend de leurs prévisions de leur part de marché et du volume de consommation d’énergie de leurs clients. Ils ont demandé 160 térawattheures (TWh) - contre 146 TWh en 2021 et 147 TWh en 2020 - soit 60 TWh de plus que le plafond initial de l'Arenh. Il y a donc 60 TWh qui sont « écrêtés » et qui, étant considérés comme un surcoût pour les opérateurs alternatifs, doivent induire une augmentation explosive du tarif réglementé de vente de l’électricité (TRV) au nom du principe « pour faire vivre la concurrence, on augmente le TRV ».

La CLCV pense que la demande de 160 TWh est surestimée, car elle signifierait que les alternatifs comptent vendre environ 10 % de plus d’énergie en 2022 relativement aux années précédentes, alors même que l’on assiste à des sorties du marché et à un retour (encore non quantifié, il est vrai) vers l’opérateur historique.

Pour la CLCV, cette surestimation témoigne d’un risque grave de faille spéculative. En effet, un aspect curieux de la réglementation est que le droit à l’Arenh qu’obtient l’opérateur alternatif en décembre 2021 pour l’année 2022 peut être revendu sur le marché de gros au premier trimestre 2022. Quand les prix du marché de gros sont proches du prix régulé du nucléaire (42 euros le mégawattheure (MWh)) cela n’a pas de conséquence. Mais, dans le cas présent les opérateurs alternatifs et certains grands industriels vont pouvoir acheter un droit à l’énergie nucléaire à 42 euros le MWh et, selon les fluctuations récentes du marché, le revendre 4 à 10 fois plus cher !

Bien sûr ces opérateurs doivent virtuellement restituer cette énergie de droit en approvisionnement nucléaire (Arenh) à un tarif de 42 euros le MWh (c’est le but : restituer la rente nucléaire au client). Mais, on voit donc très précisément l’intérêt d’un opérateur à surestimer sa demande d’Arenh. En effet, si elle est surestimée par exemple de 20 %, cela signifie que ces 20 % pourront être revendus au prix de gros du 1er trimestre, soit 4 à 10 fois plus chers, avec une plus-value astronomique à la clé. Bien sûr un tel comportement poserait de grandes difficultés :

1. Si beaucoup d’acteurs surestiment leur demande d’Arenh, cela signifie que le droit en approvisionnement nucléaire (Arenh) est trop élevé et donc que (par le jeu de l’écrêtement) la hausse du tarif réglementé est trop importante, et les usagers du tarif réglementé sont surfacturés par le simple fait d’un comportement spéculatif.

2. Cela fausse le jeu concurrentiel car des opérateurs peuvent se servir de leur plus-value pour proposer de gros discounts. Ce fait ne paraît pas problématique pour le consommateur (encore que ce type de discount n’est probablement pas tenable et peut occasionner de mauvaises pratiques contractuelles par la suite) mais il installe une concurrence déloyale entre les acteurs.

3. L’ouverture du marché a déjà beaucoup de fondements virtuels et spéculatifs. On atteindrait ici un sommet fort malsain.

Il s’avère que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a très bien identifié ce risque de surestimation de son droit Arenh à des fins spéculatives qu’elle présente avec précision et franchise dans sa délibération du 8 novembre 2021. Elle installe un cadre de contrôle et de sanction qui doit normalement parer à ce risque. La seule chose est que ce cadre n’a été que très rarement utilisé et qu’il est assez complexe.

La CLCV demande que ce régime de contrôle et de sanction soit dûment appliqué et que le CRE produise un bilan étayé de cette demande Arenh en 2022 (était-elle ou non surestimée ?). S’il y a eu surestimation, il doit alors intervenir un rattrapage tarifaire à la baisse du TRV.

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