Seize ans après l’ouverture du marché de détail, notre association en a réalisé un bilan. Notre constat est sans appel : c’est un échec. Le développement attendu de la concurrence, à l’image de ce qui s’est passé pour la téléphonie, internet et le transport aérien, n’a pas réellement eu lieu. Les concurrents d’EDF n’ont qu’une faible part de marché. Selon le dernier observatoire de la CRE, 63 % des ménages sont au tarif réglementé, 8 % sur des offres de marché d’EDF (qui sont des répliques quasi exactes du TRV) et 29 % se répartissent parmi la petite trentaine de fournisseurs alternatifs. Concrètement, après 16 années d’ouverture, environ 70 % des ménages ont un abonnement d’électricité auprès d’EDF. Ce simple fait suffit à constater l’échec de l’ouverture du marché de détail.

Oui il y a des aspects positifs à l’ouverture du marché. La fin du monopole a permis aux consommateurs « allergiques à EDF et à ce qu’il représente » (comme on peut être allergique à la SNCF, La Poste, etc.) de trouver une offre. Un développement des offres favorable à l’innovation… Mais elles sont peu développées et peu souscrites. Autre aspect positif, la mise en place du compteur télérelève Linky et la nécessité de réduire nos consommations donnant la possibilité de développer des offres spécifiques : une offre de tarification de pointe de type Tempo, ou plus généralement adaptée à des profils de consommation.

Ces effets positifs sont sans commune mesure par rapport aux effets négatifs qui se sont développés. Nous avons ainsi constaté une croissance importante des pratiques commerciales déloyales (démarchage à domicile agressif) à un niveau tel que cela nous a amenés à affirmer que ce marché était devenu « toxique » pour les consommateurs. Sans compter les mauvaises pratiques des fournisseurs alternatifs : augmentation tarifaire brutale et sauvage sans respect des obligations en la matière (tromperie sur le message informationnel, clauses abusives, etc.), le non-respect d’un contrat à prix fixe (par rupture franche ou en cherchant à forcer le consommateur à en sortir) ou encore la vente sans commande préalable d’un nouveau contrat , très défavorable, d’un fournisseur à ses clients. Le fournisseur remplace le contrat par un autre très désavantageux, sans consentement du consommateur.

Les autres aspects négatifs de l’ouverture du marché sont le greenwashing avec les offres d’électricité verte. Le consommateur qui la souscrit pense faire un geste « spécifique » pour l’écologie, il n’en est rien. Il consomme de l’électricité comme tout le monde et n’apporte pas de financement additionnel. Les offres vertes ne participent pas au développement de la production renouvelable.

Enfin, les comparateurs d’offres (privés, publics ou associatifs), qui se sont multipliés et bénéficient d’une assez forte popularité, ont joué un rôle très contreproductif. Ils n’ont pas fait preuve d’une diligence professionnelle requise pour protéger les consommateurs durant la crise. Par exemple, le comparateur du médiateur n’a jamais incité un consommateur prudent à être au tarif réglementé de vente de l’électricité (TRV) lors des moments très chahutés de la crise, ce qui était le choix rationnel, pour toujours l’inciter « à comparer les prix » sans avertir suffisamment de la fragilité de cette comparaison. Les comparateurs ont globalement tiré vers le bas le secteur de l’électricité en ne proposant pas de comparaison innovante et réellement personnalisée.

Notre bilan de l’ouverture du marché de l’électricité est à l’évidence négatif. Il plaide pour une réforme du secteur de l’électricité. Voici nos recommandations.

Nos recommandations

La consultation du public sur la réforme

Il faut organiser, sans attendre, un débat public sur la question de la réforme du marché de détail de l’électricité, la Commission européenne ayant effectué une consultation essentiellement technique. Les Français ont été marqués par la récente crise de l’énergie. Elle a mis en avant les nombreuses fragilités de l’ouverture du marché. La libéralisation a été mise en place sans une consultation tangible du public. Il est indispensable que la réforme associe les consommateurs sur les principaux choix relatifs au marché de détail (ouverture/monopole, tarif réglementé, devenir de la rente nucléaire, etc.).

Un retour au monopole sur le marché de détail de l’électricité pour les particuliers

Le monopole peut éventuellement comprendre un marché ouvert sur les offres vertes en lien direct avec le producteur. Nous demandons que les pouvoirs publics français organisent ce retour au monopole avec l’Union européenne. À l’instar des cas américains et canadiens, il nous semble assez aisé qu’un pays puisse, a minima, décider de cette question sur son marché domestique.

Si les pouvoirs publics maintiennent la concurrence sur le marché de détail, il est indispensable de prendre les mesures suivantes :

Le rétablissement d’un tarif réglementé

Nous demandons la modification du système de calcul du tarif réglementé pour qu’il corresponde seulement au coût complet du système électrique français. La fixation de ce tarif ne doit plus relever de la commission de régulation de l’énergie (CRE) mais d’une commission indépendante, dédiée à cette seule question et dont la composition est plus représentative de la société. Le tarif réglementé correspond au coût complet d’EDF et ne doit plus être sujet à des augmentations dans le seul but de maintenir la concurrence à flot.

Des obligations de couverture à 100 % sur les contrats à prix fixe et un scoring public de la couverture des fournisseurs

Il est consensuel de considérer que, lors de la crise de l’énergie, la plupart des graves incidents sur le marché de détail proviennent d’un défaut de couverture sur les marchés. Il faut mettre en place une série de mesures prudentielles et préventives assez comparables à celles décidées dans le secteur financier après la crise de 2008. Nous insistons sur le fait qu’il ne faut pas trop se reposer sur la seule obligation de solvabilité. Dans la plupart des « cassures » que nous avons eues à traiter, le fournisseur indélicat était solvable, simplement il ne voulait pas payer (donc nous allons devant le juge). Une obligation de couverture aurait limité la casse d’une façon préventive. Nous préconisons la mise en place d’une obligation de couverture. Cette obligation devra être de 100 % sur les contrats à prix fixe (nous avons de nombreux litiges sur des contrats à prix fixe où la couverture était de 90 % par exemple).

Nous avons proposé aux instances communautaires nationales que soit mise en place une notation publique obligatoire du niveau de couverture de chaque fournisseur (nous l’avons appelé Nutri-Score du risque énergie : une note classée de A à E). Nous pensons que cette notation, qui devra être mentionnée par les comparateurs et dans les divers appels d’offres, deviendra un standard du secteur et incitera fortement les fournisseurs à se couvrir.

Retrouvez les actions en justice de la CLCV contre des fournisseurs alternatifs en cliquant ici

La fin du système des garanties d’origine sur les énergies renouvelables et la réduction au strict nécessaire des exceptions au droit de la consommation

Il existe une série d’exceptions au droit de la consommation qui est tout à fait négative. Par exemple, les pouvoirs publics ont légalisé les garanties d’origine par une disposition spécifique. Ces exceptions constituent un frein à la police de marché et à la protection du consommateur. Il faut supprimer le système des garanties d’origine qui est venu légaliser le greenwashing.

La mise en place d’une police de marché effective au niveau des pouvoirs publics

Les pouvoirs publics, au premier titre la Répression des fraudes (DGCCRF), ont été largement inactifs pour protéger les consommateurs. Ils n’ont notamment jamais engagé d’action devant le juge. Pire encore, même quand une association de consommateurs, dont le rôle de police du marché est reconnu par le droit communautaire, agit pour la défense des consommateurs, elle se heurte à un manque de coopération ou à des actions de parasitage par des services publics (administration, régulateur, médiation). La police de marché doit tout simplement agir au civil et au pénal quand des pratiques contestables ont lieu. Le seul fait que les grandes ruptures de contrat durant la crise (Hydroption, par exemple) ou les vagues dures de démarchage agressif en porte-à-porte n’aient pas donné lieu à une action au pénal à l’initiale de l’État envoie un signal d’impunité assez désastreux.

Droit au nucléaire (Arenh) : la question du partage de la rente nucléaire entre les fournisseurs

La CLCV préconise des systèmes différenciés entre la clientèle domestique et les grands comptes industriels. Ces derniers devant probablement retrouver la logique de contractualisation de long terme avec l’opérateur historique. Nous ne recommandons pas de reconduire un partage de la rente nucléaire entre fournisseurs (i.e. le dispositif Arenh y compris réintroduit sous une autre présentation). Passé douze années de « pied à l’étrier », ces fournisseurs doivent construire leur système de production ou d’approvisionnement. À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où les pouvoirs publics reconduisent un système de partage du nucléaire, afin d’éviter les dérives de l’Arenh, il est crucial que ce « droit au nucléaire » ne soit pas attribué aux fournisseurs mais soit directement affecté au client final par une remise sur la facture.

Marché de gros : 3 recommandations sur la gestion et le coût de la production nucléaire

  • Mise en place d’une police de marché et d’un système judiciaire effectif concernant le marché de gros (au niveau national et communautaire).
  • Fixation publiquement par l’État des objectifs et d’un cadre de gestion du parc nucléaire après débat et concertation des parties prenantes.
  • Fixation du nouveau prix du nucléaire qui devra être concertée et objectivée autant que possible. Elle doit être cohérente avec le cadre de gestion fixé. L’étude que l’État a demandée à la CRE, qui a été effectuée cette année dans le plus parfait secret et sans consultation des parties prenantes, constitue précisément ce qu’il ne faut pas faire. Le tarif suggéré pour le nucléaire par cette étude est tout à fait excessif

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